À la rencontre des personnes sans-abri à Toulouse
Chaque lundi, mercredi et dimanche soir, des bénévoles du Secours Catholique parcourent les rues de Toulouse et des environs à la rencontre des plus démunis, parmi lesquels un nombre croissant de familles sans-abri. Leur but : nouer ou maintenir une relation de confiance avec des personnes en grande précarité, isolées et éloignées des dispositifs d’aide.
À l'Ostalada, l'accueil de jour du Secours Catholique dans le centre-ville de Toulouse.
« On commence toujours en contactant le 115 pour être mis en relation avec des personnes à la rue qui les ont appelés dans la journée », explique Alexandre, référent bénévole à Toulouse, en griffonnant sur un journal de bord les informations recueillies sur des personnes en détresse par une équipe du Samu social, à l’autre bout du fil.
Pendant ce temps, dans la pièce d'à côté, Richard et Guillemette remplissent des cagettes de produits essentiels, donnés par la Banque alimentaire ou des commerçants du quartier : bouteilles d’eau, repas préparés pour enfant, kits d’hygiène etc. Le trio de bénévoles entrepose ensuite les cagettes dans la camionnette floquée aux couleurs du Secours Catholique.
Une trentaine de bénévoles se relaient pour assurer une “maraude” de nuit quatre fois par semaine dans le centre-ville de Toulouse et sa périphérie. Des personnes sans-abri ne se rendant pas aux accueils de jour, « soit parce qu’elles n’osent pas, soit par manque d’envie », les “maraudeurs” font le chemin inverse. Objectif : apporter des biens de première nécessité, du réconfort et des conseils pour les orienter vers des dispositifs d’aide adéquats. « On ne cherche pas à rencontrer le plus de monde possible, précise Alexandre. On prend notre temps pour discuter avec eux pour bien comprendre leur situation et ainsi mieux les aiguiller ».
Près de la place du Capitole, Alexandre retrouve un habitué. Les deux hommes prennent de leurs nouvelles. « Lui, il sait de quoi il parle », lance Thierry, un ex-parachutiste, à la rue depuis près de deux ans, en posant un regard complice sur Alexandre. « La première fois que j’ai vu une maraude c’est quand j’ai appelé le 115. Ça a été utile pour moi, alors j’ai décidé d’en faire », confie le bénévole. Avoir dormi dehors aide à aborder les personnes fragiles, même « les plus réfractaires. Je sais quelle posture adopter car j’ai été à leur place. Par exemple, quand ils sont par terre, je me mets accroupi pour être à leur hauteur ».
Les codes de la vie à la rue, Alexandre les partage avec les autres bénévoles, surtout les nouveaux venus. Comme Guillemette, qui participe ce soir-là à sa deuxième maraude. « J’ai appris qu’il ne faut pas réveiller une personne qui dort car le sommeil est précieux. Il est difficile de s’endormir dehors à cause du bruit et des lumières », explique l’apprentie fleuriste, en servant un café et un bol de soupe à une jeune sans-abri. Elles papotent. La discussion est amicale, presque banale. « C’est agréable de prendre soin des gens. On sent qu’on sert à quelque chose, même si on voudrait en faire plus », confie l’étudiante.
Apporter une présence régulière à des personnes devant qui beaucoup passent « sans un bonjour, sans un regard », c’est aussi le but de la maraude. « Nous sommes autant là pour la discussion que pour l’écoute », résume Richard, bénévole depuis un an. Alexandre acquiesce : « distribuer un café ou autre chose, c’est un prétexte pour discuter et écouter les gens. On est parfois les seuls à leur parler et à qui ils peuvent parler ». Sur la place de l'Europe, ils croisent Antoine, casquette et capuche vissées sur le crâne. Comme des anciennes connaissances, ils discutent, se taquinent et se donnent rendez-vous à la prochaine tournée de rue.
Alexandre gare la camionnette pour réceptionner un appel. C’est le 115. En périphérie de la ville, des familles à la rue avec leurs enfants manquent de tout. « Ils passent en priorité », glisse Alexandre, en raccrochant. Au fil de la soirée, l’équipe ajuste son itinéraire en fonction des signalements du Samu social. Sur le terrain, les maraudeurs travaillent en réseau avec d’autres associations pour venir en aide de manière efficace aux plus démunis. En se répartissant les différentes zones de la ville rose, « personne n’est oublié ».
Près du métro Borderouge, les maraudeurs font, par le biais du 115, la connaissance de Lébau, vêtu d’un legging sous son short en jeans pour se tenir chaud. Il dort avec sa femme, enceinte de cinq mois, et leurs deux enfants en bas âge sous une tente près d’un terrain de foot. Leur demande pour un hébergement piétine, tout comme leur dossier d’asile. Sur la route de l’exil, « on a vécu beaucoup de choses. Je n’arrive pas à dormir. J’ai besoin de parler », confie le Congolais aux bénévoles qui l’écoutent attentivement. Ils lui remettent des couvertures et de la nourriture avant de l’inviter à passer à l’accueil de jour.
Depuis trois semaines, John-Michael et Domina dorment sur une couette posée à même le sol humide, sous le toboggan d’une aire de jeux, face à l’école où leurs deux enfants sont scolarisés. « À cause des réverbères, je n’arrive pas à fermer l’œil. Du coup, j’ai tout le temps mal à la tête », raconte Domina. « On va essayer de revenir avec une tente », promet Alexandre, en les invitant à l’accueil de jour pour un meilleur suivi. À Toulouse, comme ailleurs, de plus en plus de familles se retrouvent ou retournent à la rue. Une bénévole s’inquiète : « 2 500 places d’hébergement ont été ouvertes en cinq ans. Ce n’est pas assez. La demande continue d’augmenter ».